Face à la nécessité de se transformer, un nombre croissant d’entreprises désirent faire évoluer leurs dispositifs de communication traditionnels, souhaitant ainsi à la fois mettre en lumière  leur volonté de se réinventer, et impulser un changement de d’image en interne comme en externe. Comment prendre ce tournant quand les dispositifs existants sont à la fois structurants, et le reflet d’un ADN et d’une forte culture d’entreprise ? 

Pour aborder cette complexité, nous prenons ici le cas du Groupe Mazars et de son rapport annuel. En 2015, cela fait 10 ans que l’entreprise publie un rapport annuel. C’est non seulement un flagship project de communication corporate au niveau mondial mais aussi, à l’origine, une vraie innovation de leadership. C’est l’incarnation de la singularité de Mazars, un groupe intégré dont les concurrents sont des réseaux de firmes indépendantes ; c’est aussi la preuve tangible de l’engagement de l’entreprise en faveur de la transparence. 10 ans plus tard, que faire pour, à la fois, se montrer digne de ce qui a été construit, mais également renouveler ce projet ?  

Les contraintes fixées par l’exécutif incluent d’emporter l’adhésion des 80 filiales ; convaincre autant les cibles internes que les clients, les prospects et le régulateur ; délivrer un dispositif à fort impact, autant sur des cibles middle-market à New York que sur des entreprises cotées à Paris ou des groupes allemands exportant en Asie ; baisser le coût du projet en ressources humaines et financières. Tout cela ressemble fort à une somme d’injonctions paradoxales. Il reste alors tout à inventer. Nous sommes donc revenus vers l’exécutif du Groupe avec une contre-proposition : « Allons plus loin que des modifications de format ou d’outils. Faisons quelque chose de radicalement différent.” 

1. Construire un projet servant la stratégie de l’organisation 

Il s’agit essentiellement de suivre un fil logique, en se fondant non seulement sur l’ADN de la marque et sur son positionnement de marché, mais dans une perspective dynamique, celle des évolutions profondes de son secteur d’activité et de son modèle économique.

La marque est celle d’un acteur reconnu, mais un acteur qui essentiellement un challenger sur un marché mondial, faisant face à des compétiteurs de taille colossale. Le cœur de métier de l’entreprise ? Une profession faisant l’objet d’une forte pression du fait de trois tendances lourdes : la révolution digitale ; une compétition accrue, pesant sur les marges ; l’évolution de la réglementation ; et enfin des attentes nouvelles concernant l’audit de la part des parties prenantes des entreprises. Tout cela a des impacts profonds, déjà sensibles à court terme, sur le modèle économique de la firme, mais aussi toutes les fibres de l’organisation, des ressources humaines à la gouvernance en passant par la démarche business et la finance.

Dans ce contexte, mettre en avant l’expertise ne suffit plus ; il faut au contraire positionner la marque sur le terrain de la connaissance des enjeux macroéconomiques. Acteur majeur de l’audit en France, présent dans le monde entier, l’organisation est légitime sur ce plan. Auditeurs comme consultants, tous dans l’organisation doivent donc être perçus comme les meilleurs experts de la chaîne de valeur de chaque secteur de l’économie, mais aussi de l’impact des mégatendances économiques, sociales et géopolitiques sur le futur de chaque client. Ici s’illustre de manière cristalline l’adage : content is king. Encore plus que d’expertise technique, c’est la connaissance des enjeux, des tendances et des risques qu’il faut mettre en avant.  

La conclusion ? Une stratégie mettant en avant des idées, des concepts, des tendances, faisant la part belle au débat, donnant la parole à toutes les parties prenantes de l’entreprise. Pour ce faire, il faut au passage choisir son territoire d’expression : les thèmes sur lesquels la marque veut se faire entendre, et creuser un sillon en organisant la production de contenu annuelle autour de ces sujets.  

2. Sur le contenu, adopter un credo fort, fait de principes clairs 

L’inspiration : transformer un exercice imposé en une opportunité unique de réinventer le projet de fond en comble. L’idée : faire d’un rapport annuel austère une plate-forme d’expression pour la marque en posant des principes forts.  

  • Raconter des histoires. Ce n’est pas un cliché : il n’est personne qui n’aime les contes avec un début, une fin, des personnages et une tension dramatique.  
  • Construire les messages sur des idées. Le concept n’est pas l’ennemi du récit ; il en est l’ossature. Tous les experts mettent en avant l’émotion ? N’oubliez pas pour autant le binôme : winning the hearts and minds.  
  • Le design est au service du message. Un design brillant mais déconnecté du contenu, une création gratuite car éloignée de la marque, desservent l’objectif pour le long terme. 
  • Dans le sens inverse, aucun compromis n’est acceptable sur la qualité du design. Un exemple ? N’accepter que des illustrations de qualité : pas de visuel vaut mieux qu’un visuel faible. Les portraits faiblards ? À bannir. Les banques d’images? Here be monsters.  

3. Repenser le rapport au temps, c’est orchestrer les canaux 

Les projets de communication traditionnels sont linéaires ; du point A (l’inception) au point Z (la livraison). Un rapport annuel classique en est l’illustration absolue ; son rétroplanning dépend de la date de publication des éléments financiers. 

Or un dispositif multicanal fait coexister des vecteurs classiques (ici un rapport imprimé en plusieurs versions linguistiques, des documents annexes, des communiqués de presse…), le tryptique owned/paid/earned via les réseaux sociaux, l’employee advocacy, des contenus riches web / vidéo. Dans ce marketing mix, le tempo des réseaux sociaux prime ; le projet a donc été réinventé pour donner la priorité au digital. 

D’un projet “one shot”, livré une fois par an, dans une posture assertive, il s’agit donc de passer à son contraire :  

  • un programme de contenu riche, publié d’abord et tout au long de l’année via une plate-forme web moderne, dans le cadre d’un calendrier de messages, avec un plan de promotion intégré ; 
  • des contenus denses ; si l’on veut convaincre, il faut se donner le temps de le faire. Les long reads occupent une place centrale dans une stratégie de contenu B2B ;  
  • un plan de curation de contenus via Twitter, permettant d’agréger une communauté de followers sur les thèmes faisant partie du territoire d’expression retenu. Ce point est essentiel dans la mesure où il contribue à mettre en avant le fond et à décentrer le regard (cf. plus bas) ;  
  • un plan de community management ;  
  • l’embarquement de toutes les équipes communication et marketing des filiales à travers de la co-construction de contenus et la mise à disposition de kits prêts à l’emploi chaque semaine, pendant toute l’année. 

4. Même dans le B2B, incarner les messages  

Les marques B2B sont souvent taxées d’être des marques “froides”. Susciter l’émotion n’y répond pas aux mêmes mécanismes que dans le B2C. Il est essentiel d’incarner la marque et ses messages à travers l’humain ; passer du langage désincarné au récit par les acteurs de l’aventure humaine qu’est tout projet entrepreneurial ; donner une voix et un visage aux femmes et aux hommes. Ce n’est pas un cliché.

5. Décentrer le regard  

Plus encore dans un projet multicanal, il faut abandonner les postures d’autorité. Il ne s’agit pas de céder à des effets de mode mais de crédibiliser la démarche d’engagement et de transparence. Comment faire ? 

  • Adopter le principe, contre-intuitif, que les experts internes ne sont pas les seuls sachants ;  
  • Faire intervenir des experts externes ;  
  • Connecter le monde de l’entreprise à celui de la recherche ;  
  • Mettre en avant toutes les facettes de l’entreprise, mettre en lumière la diversité de ses équipes et de ses talents.  

Éléments de conclusion 

En trois ans et trois exercices (les Yearbook 2015, 2016, et 2017), le credo qui a présidé à la conception du projet a prouvé sa pertinence non seulement par les distinctions qu’il a reçues en tant que projet de communication (primé par Stratégies et par Communication et Entreprise à 3 reprises), mais surtout à travers le feedback des parties prenantes qui constituaient les cibles principales : les clients, les prospects, le régulateur. 

Le retour positif le moins attendu est finalement venu de l’interne : non seulement des équipes de marketing et de communication présentes dans les filiales à travers le monde, qui y ont été associées dès l’origine ; ni le leadership du groupe, qui s’est fortement investi dans la disruption que représentait le projet ; mais les équipes terrain (auditeurs et consultants, qu’ils soient senior et en contact direct avec les clients, ou junior).

Ces éléments sont l’illustration qu’une approche à 360 degrés, mettant le contenu au coeur du projet et le digital comme force motrice, faisant la part belle à la co-construction, permet de transformer un projet de communication fort et ancré dans l’histoire de la marque en un véritable dispositif multi-canal à même de changer son image et à l’accompagner dans ses transformations.